barbara noiret
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texts / Eléonore Espargilière


Etat des lieux


Au gré de visites régulières rendues à l’hôpital psychiatrique de l’Institut Marcel Rivière pendant deux ans, Barbara Noiret en a appris les secrets et les recoins, fixé les altérations, éprouvé les usages. Cet établissement immense, divisé en modules distincts, présente les aspects les plus divers, des bâtiments restaurés, nets et clos sur la vie des patients aux friches en constante évolution, au gré des nécessités de stockage du matériel. Chacun de ces espaces renferme une histoire feuilletée, parfois illisible, d’occupations successives amalgamées et contradictoires, dont elle a tenté de dégager certaines lignes en réveillant quelques épisodes choisis. Ses interventions, des plus minimales aux plus résolument indiscrètes, ouvrent dans ces enceintes habituellement réservées aux seuls membres du personnel un accès critique et poétique à leur histoire.

Zone pavillonnaire

Des bâtiments qui lui ont été ouverts, le plus chargé et le plus emblématique est sans doute le Pavillon, dit A3, ancien lieu de résidence pour les patients, dont le plan symétrique (deux suites de chambres desservies par deux couloirs que différencient leur couleur et leur exposition) laisse une impression de miroir inversé.
L’artiste y a vu s’entasser, puis disparaître les meubles et équipements divers au gré de leur dégradation par les patients, et des rénovations et recyclages successifs. La configuration des chambres, quoiqu’altérée, est encore visible. Son regard s’est porté sur les paysages très différents que les occupants de chaque chambre pouvaient regarder par leurs fenêtres, et l’un de ces cadrages dû aux nécessités de la construction est devenu le centre d’une brève fiction offerte à celui qui aura parcouru toute la longueur du couloir (in)hospitalier.




D’autres pièces de ce pavillon accueilleront les traces d’interventions antérieures, dont une, nocturne, a imposé au lieu réel autant d’agencements intérieurs qu’il a contenu, sans doute, d’imaginaires et d’univers en la personne de chaque habitant.
Le film Panorama, tourné depuis l’extérieur du pavillon, associe à la succession d’images rétroprojetées le son distant mais tenace d’un train qui passe, le rythme des images évoque celui des vitres du train, des visions fugitives de ses passagers. Ce travail entamé dans l’idée de faire jouer une illusion d’optique rend peut-être mieux encore la pluralité des expériences vécues à cet endroit que ne l’eut fait un documentaire à vocation objective.
C’est ce paradoxe que Barbara Noiret invite le spectateur à traverser le temps d’une promenade initiatique. Le regard extérieur de l’artiste invitée à explorer un ensemble architectural consacré à la thérapeutique agit comme un révélateur de ce que les lieux renferment et, loin d'en trahir la mémoire au profit de quelque fantaisie, le travail exposé sur place isole et éclaire ses reliefs les plus ténus, les plus proches de l'expérience intérieure que les patients n'ont confiés qu'aux soignants.



En retrait dans l’obscurité d’une salle déserte, le spectateur est placé face à deux états différents d’un même jardin que séparent deux baies vitrées installées en angle droit. Cette édition de posters est un clin d’œil aux papiers peints des années 80, étalant les couleurs éclatantes d’une « forêt en automne », ou « au printemps », que l’on rencontre souvent dans les salles d’attente des cabinets médicaux.

 




L’art culinaire


L'art culinaire se joue en amont de la dégustation et s'étend bien au-delà des conventions du luxe. A rebours des poncifs en la matière, ces clichés montrés dans le contexte même de la prise de vue, rendent compte d'un périple effectué dans la cuisine, collective, du restaurant. La question du goût y laisse place, dans le champ du regard, à la disproportion des quantités. Chaque instrument, chaque étape de l'élaboration du repas est prévue pour de nombreuses bouches à nourrir, l'espace, en conséquence, implique l'étalement des activités du cuisinier sur une surface assez vaste pour contenir cette abondance. L'appareillage métallique démultiplie des lieux déjà gigantesques, des outils déjà énormes. L'échelle des personnages parfois présents entre ce cadre et son reflet mesure la réalité d'une activité considérable et humble qui consiste à alimenter les autres. Contrepoint de cette représentation d'un art culinaire sécurisé, aseptisé dans des parois d'inox qui le réfléchissent, les vues de détail proposent d'en anoblir le résultat, proche, dans les cadrages intimes, des vanités de la peinture classique. Les courbes chaudes du métal et l'ordre méticuleux des morceaux à préparer rappellent au spectateur que l'ordinaire de cette réalité -les cuisines de collectivités- peut lui aussi receler le raffinement et la recherche.

La vidéo « Verrière » rend compte d’une performance réalisée pendant le déjeuner des patients et des soignants au restaurant. Elle a été réalisée en collaboration avec Régis Bouchet-Merelli et Dominique Larcher, de la compagnie de danse contemporaine K-Denza. Seules quelques minutes ont été retenues de la performance pour créer cette vidéo, structurée autour des mouvements des corps en lien avec l’architecture. L’enregistrement de la chorégraphie est rythmé par le bruit ambiant du repas (assiettes, couverts, discussions…).
La performance a été conçue en relation avec le contexte historique et architectural du restaurant : la salle dans laquelle elle se déroule était réservée au repas des soignants dans les années 60. Cette pièce carrée est séparée par de grandes baies vitrées d’une autre salle de plus grandes dimensions, où déjeunaient les patients. A l’époque, ces baies vitrées servaient pour l’observation et le diagnostic des patients pendant le déjeuner. Aujourd’hui ces pratiques ne sont plus en usage, mais les soignants déjeunent dans cette même salle et les patients dans l’autre.
L’objectif de la performance était que tous déjeunent dans la même partie du restaurant ; que l’espace à la fois ouvert et fermé par les verrières devienne un lieu de performance, où les objets perdent leur fonction : les tables sont assemblées - désassemblées, pour former un « plateau de danse », les chaises ne servent plus à s’asseoir. Une tentative de perturber l’espace du repas, les habitudes de chacun.» Barbara Noiret



Théâtre des illusions


Sur le grand écran de projection du théâtre, une silhouette indécise suit une trajectoire connue d’elle seule dans les salles en ruine d’un château désaffecté. La succession de ses entrées, traversées, sorties, de scènes ni tout à fait identiques, ni tout à fait différentes, entraîne le témoin dans une marotte d’enfant hypnotique, inquiétante, qui louche vers le jeu vidéo sans tout à fait en épouser les conventions. Aucun objet n’est donné à cette quête inlassable et cyclique, aucun prétexte, parce que le franchissement répété des obstacles suffit à constituer l’aventure.

 


Le château, appellation d’origine contrôlée

L’escalier d’honneur

Le Château sis à la lisière du Parc de la Verrière a conservé sa façade et ses huis d’origine, certaines de ses boiseries, son escalier ; le dessin, aussi, du jardin à la Française qu’encadrent ses ailes. Pour le reste, ses grands volumes ont été réaffectés sans méprise possible aux fréquents séjours de groupes de travail, séminaires, conférences, brainstormings. L’équipement, on ne peut plus complet, est pensé pour optimiser les conditions de vie en autarcie à l’intérieur de cet écrin. Les lambris percés de portes invisibles des salons de réception cachent pléthore d’appareils son et vidéo. D’impeccables chambres d’hôtel occupent tous les niveaux supérieurs. Les anciens aménagement des tours, au premier étage, ont laissé place à un bureau et une petite salle de sport moquettée et proprette. Au rez-de-chaussée, les mêmes pièces rondes sont encore en état, à ceci près qu’un bizarre évier en inox détonne sur les ors sombres du chêne et des reliures en cuir de la bibliothèque.


Dans ce cadre aseptisé, Barbara Noiret a choisi de travailler dans un respect scrupuleux des contraintes qui lui étaient imposées : pour les parties d’époque, ne rien altérer, pour les autres, ne rien déranger. Les installations in situ qu’elle met en place sont pourtant très présentes et mettent d’autant mieux en lumière l’étrangeté de ce lieu partagé entre deux époques qu’elles en accusent la juxtaposition.
L’escalier d’honneur reste agrémenté des cadres qui y sont accrochés depuis la réouverture du site, dont elle ne modifie que le contenu, avec un humour consommé.



Une des tours (bar des habitudes), un peu calfeutrée, reçoit la projection vibratile d’images symétriques, comparables et troublantes, d’espaces jumeaux réaménagés, qui démultiplient jusqu’à l’absurde les déclinaisons du même volume. La lumière des diapositives se fond dans la matière du bois, les volumes contenus dans les images sont indexés sur ceux des lambris, les épousent, les suivent ou s’y déforment.

 

 

La grande salle de Conférence voit défiler une série d’autres salles de conférence inoccupées, dont la succession d’abord régulière comme une visite de routine, devient inquiétante pour qui s’y attarde.